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La main était brisée, à la hauteur de la base du pouce. Elle s’était détachée d’une statue de Madone, qu’Alix Dussart (1988) a trouvée en Italie, pas loin de Vérone. Une main menue, gracieuse et affable. Ainsi séparée, prise pour elle-même, cette main relie le sacré chrétien à l’une des premières expressions artistiques humaines, les mains pariétales du paléolithique, en positif ou en négatif, dont la science n’a pas encore saisi la signification. En ces cinq doigts se concentre la puissance d’une image, d’un signe.

Multipliée en plâtre, avec pour chacune la singularité accidentelle du processus du moulage –technique que l’artiste pratiquait déjà à l’Ecole Européenne Supérieure d’Art de Bretagne, avant d’arriver à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (atelier photographie puis art dans l’espace public)-, la main virginale sert de cailloux blancs de Petit Poucet menant à un charnier miniature. Cet amas de paumes tendues contraste avec la dureté, la froideur et la violence intrinsèque de la lance qui y est fichée. Tranchant contre doux, blanc contre noir, paisible contre guerrier, multiple contre unique : les oppositions nées de ce rapprochement se résolvent pourtant dans la complémentarité de l’une et de l’autre, le prolongement presque naturel qu’est l’une pour l’autre, la force que l’une permet à l’autre, l’inutilité de l’une sans l’autre.

L’édition Ce débris dont rien n’est venu à bout, titre extrait d’un récit de Maylis de Kerangal (Bivouacs) qui est aussi celui d’une exposition d’Alix Dussart au Botanique, réunit aussi la main et la lance. Elle se découvre comme une sorte de carnet de recherche mêlant photos, croquis et textes, avec même un glossaire des terme que l’artiste utilise dans son travail. S’y dessinent certaines obsessions, pour le corps, dans son extérieur et son intérieur, pour le temps long de la sédimentation et les couches de notre environnement, pour la fêlure et la cicatrice, et bien sûr pour la préhistoire et ses secrets non percés.

Estelle Spoto

Exposition du Prix Médiatine 2023

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Ce débris dont rien n'est venu à bout, Le Botanique (Bruxelles), 2022

         Puisque toute quête se prépare avec sérieux, il faut inventorier ses outils : une lance, un couteau et mes mains. Finalement le couteau pourra être une barque. Je dois prendre tous les morceaux avec moi. Je prends aussi le plâtre, l’eau et le temps. Mes doigts et mon bois. Le charbon suivra. Ou bien l’inverse ? Oui, d’abord il y aura le charbon, avec lequel je pourrais reconstituer la carte au sol. Grâce à elle, on voit les structures souterraines. Je ne dois surtout pas oublier cette carte, celle de mes origines, pliée, repliée, dépliée. Nous pourrons la transmettre à celleux qui viennent après nous. (Ai-je bien pris la bonne ?... Ce n’est pas très grave car de toute façon les continents se rejoignent à certains endroits). Nous pourrions aussi laisser des traces de notre passage, pour un trajet retour, ou pour un trajet futur, pour les autres.

Lorsqu’on entre, cela fait l’effet d’une grotte. On ressent presque cette température sourde, comme une densité tranquille et fragile qui transpire des parois et nous enveloppe. Tout est là, mis à nu, classé, présenté. Et maintenant que tout est prêt il faut négocier avec la peur et le noir, qui doivent laisser une place aux marques, aux repères ainsi qu’aux fondations. Je me revois encore lorsque je n’étais qu’une petite boule noire, laineuse, presque râpeuse. Mais je me suis laissée polir, un peu. Comme ces couteaux. Et maintenant que mes mains sont habiles elles peuvent à leur tour poncer, tracer, couper, apposer, mouler, tailler, ranger, creuser, et laisser leurs empreintes. C’est drôle on croirait presque que ces branches d’eucalyptus se sont changées en os. C’est que la matière continue sa transformation elle aussi et certainement que nos mémoires se retrouveront quelque part pendant ce voyage.

Je crois que nous devrions continuer notre progression en restant relié.e.s au sol, pour retenir les particules, les poussières, pour ne pas que tout ce qu’on a récolté s’envole. Et si les eaux montent, nous pourrons toujours nous tenir aux linteaux, au x lin te aux, a   ux li  n  ea   x  x i n t a      e   u           x                   a              li   

Blandine Lehec

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Mâa, Chapelle Saint-Roch, Herbeumont, 2020

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